jeudi 13 décembre 2012

> Thomas Vinau : la peau grenue du monde

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Dans ses poèmes et ses textes, Thomas Vinau s’efforce de donner à voir ce qui fait feu juste sous nos pieds. Il entend faire crépiter ce qui se dérobe, se soustrait, le peu du peu qui pourtant, si l’on s’efforce de le considérer, laisse parfois entrevoir quelque chose de notre commune et misérable grandeur. Mais attention, l’embrasement n’est pas immédiat. Loin s’en faut. Il faut prendre le temps de ramasser des fagots mouillés, de planer dans le décor, il faut laisser traîner ses pieds dans la poussière. L’instant n’est pas d’emblée d’émerveillement. Il s’agit d’abord de traverser la mesure modeste des choses, de flâner dans les marges et de glaner ce dont personne n’a voulu…




Dans Les derniers seront les derniers, un recueil de poèmes paru cette année au Pédalo ivre (une maison d’édition associative basée à Lyon), Thomas Vinau revient une fois encore sur son penchant naturel pour ce qui manque a priori d’éclat et de clinquant :

«Je suis une pie myope / qui vole ce qui ne brille pas».

On sait, je crois, assez peu de chose de l’auteur. Il vit dans le Luberon, écrit surtout des poèmes, des livres pour la jeunesse et n’aime pas se montrer. Si l’on en croit les éditeurs qui vendent ses livres sur les salons où il ne vient pas, la performance ne serait pas de son goût… Il tient un blog, à travers lequel il sème des traces dans les points de suspension de la vie et qui constitue autant d’ébauches ou d’échos des recueils qu’il publie. Il se range volontiers sous de petites enseignes telles que «supporter des poussières», «militant du minuscule», «anomaliste»… En matière de littérature il affectionne tout particulièrement les «clochards célestes» avec une mention spéciale pour Richard Brautigan.

Tout cela est bien beau, me direz-vous, mais ne fait pas nécessairement un poète…

C’est entendu. D’autres que lui s’essayent d’ailleurs régulièrement à sillonner les interstices, à caresser le monde par la bande et les bosses ou à nous promener dans les escaliers de service de la vie. Mais ils ne sont pas si nombreux que cela à s’accorder de la sorte au menu voyage qu’ils entreprennent. La musique de Thomas Vinau est d’autant plus touchante qu’elle est fragile comme du verre. On a l’impression étonnante qu’il y a une poétisation immédiate de ce qu’il touche et regarde (fût-ce le moindre rebut) et qu’il n’arrive pourtant jamais à prendre la poésie tout à fait au sérieux. L’écriture, proche de l’annotation, reste souvent en suspens, vibratile, et rechigne à s’imposer en poème consacré. Même quand ça commence fort…

«Dans la peinture traditionnelle japonaise / - ça fait toujours bien / un poème qui commence par / dans la peinture traditionnelle japonaise»

On se dit qu’il y a peut-être là une posture, ou, tout au moins, que la page qui vient va nécessairement se situer dans le même ordre de grandeur et de tonalité. Et pourtant, l’étonnement est presque toujours au rendez-vous. Quelque chose de pointé, de ressenti, une mélancolie ou une étincelle que l’on n’avait pas calculée et qui vient se poser juste au-dedans de nous, à la juste place. Et même si Thomas Vinau est conscient qu’ «écrire / c’est creuser un trou / pour en boucher un autre», il y a dans ses poèmes, ses listes, ses notes, un mouvement qui nous invite à reprendre vie. A poser un autre temps dans le temps qui nous traverse. Même le vide qui habite l’existence semble redevable d’une certaine forme de délicatesse et d’attention :

«Creuser les jours creux / comme des noyaux d’abricot / souffler dedans /écouter la musique qui n’en sort pas.»

Il y a parfois un style, une sensibilité qui pourraient évoquer un Christian Bobin rincé de sa foi, plus maussade et plus carné. Le poète doit ici savoir se contenter des restes et surtout ne rien gaspiller, comme l’indique cette simple et belle injonction :

«Finir / la lumière / d’hier»

Par petites touches, tout est dit de notre humilité obligée, du peu de champ que nous laisse la vie pour déployer nos ailes. Il faut bien y consentir mais il faut consentir aussi à ne jamais manquer le moindre éclat de bonheur. Et dans ce passage étroit, une forme d’enchantement redevient possible.

«Un jour de vent dans les jupes / Schopenhauer ne fait pas le poids»

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«Tes pieds /contre mes pieds / et je me rendors / avec la sensation / de baigner dans un semi-remorque /de fraises sauvages.»

Ecrire serait peut-être simplement faire l’effort de toucher du doigt ce qui nous arrive, nous enjambe ou nous passe sous le nez, nuage crasseux ou éclaircie.

On trouvera parfois quelques formules un peu plus attendues, un peu plus approximatives. Mais ce n’est pas grave. On dirait que c’est le risque qu’il accepte (ou se fiche) de prendre, pour garder le pas et le tempo qui lui conviennent.

Lisez Thomas Vinau, vous aurez envie de garder l’un de ses livres toujours près de vous. Les jours où tout est trop lisse ou quand tout va trop vite, sa poésie est un pense-bête : elle nous rappelle la peau grenue du monde.











Thomas Vinau, Les derniers seront les derniers. Le pédalo ivre. 2012

Et tout le reste est ICI


Images : 1) et 3) : The Little People Project

6 commentaires:

  1. Je suis très touché par cet article. Merci !

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  2. c'est très bien dit, j'éprouve exactement les mêmes impressions en le lisant...
    (on trouve généralement très bien dit ce avec quoi on est pleinement d'accord ;-))

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  3. c'est tout à fait ça !
    thomas vinau est un poète pour qui ,comme il l'a écrit :"la poésie muscle en nous ce qui ne prétend pas gagner"

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  4. C'est magnifiquement bien pensé et écrit ! Très fin et très juste. Merci, c'est chouette de faire vivre un auteur de cette manière.

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  5. "un Christian Bobin rincé de sa foi" C'est une belle idée (et un bel article) :-)

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  6. J'ai eu l'honneur de rencontrer Thomas Vinau, lors d'une rencontre à Vienne, la librairie Lucioles. Il y présentait "ICI ÇA VA". Bien sûr, je suis rentrée chez moi avec le roman... et, en prime, son recueil de poésie "LE TROU" (qui a déjà voyagé chez Anne, en Belgique, du blog Des mots et des notes.

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